Place aux Huiles 3
L’atelier de peinture de Madeleine se situe sur la partie haute de la Grand-rue, au tout dernier étage d’un immeuble ancien et pas très loin de l’Hôtel de Cabre. Cet hôtel, épargné lors de la destruction des vieux quartiers de Marseille, est la maison la plus ancienne existante dans la ville.
Madeleine n’était pas née à l’époque, mais à plusieurs reprises ses parents très impressionnés par les travaux, lui racontèrent comment cette maison fut en 1954, déplacée d’un seul bloc sur vérins et tournée à quatre-vingt-dix degrés, pour être dans l’alignement de la Grand-Rue. Chaque fois qu’elle passe devant l’hôtel, elle ne peut s’empêcher de s’attarder un instant, en essayant d’imaginer comment une telle chose a pu être possible.
Elle est née il y a une quarantaine d’année pas très loin de là, dans le quartier du Panier, aujourd’hui rénové et devenu un lieu touristique. Jusqu’à l’adolescence elle y vit heureuse et insouciante avec les enfants du quartier, jouant à cache-cache dans les ruelles étroites ou trainant sur les petites places, écoutant les plus vieux réunis autour des fontaines, ou assis sur le pas de la porte, les soirs de canicule. Chacun y allant de son histoire, vraie ou arrangée, les enfants écoutant fascinés et rêveurs.
A l’adolescence, ses parents déménagent et s’installent dans le quartier de la Corderie. La vie y est différente, les enfants n’y trainent pas dehors, mais passionnée de dessins elle trouve une échappatoire à cette vie plus casanière.
Puis vient l’âge des amourettes et déjouant la surveillance de ses parents c’est dans le tout petit jardin attenant à l’abbaye de Saint Victor qu’elle découvre son premier baiser « avec la langue » racontera-t-elle plus tard à ses amies. Ensuite, amourettes et amours traversent sa vie mais jamais elle n’envisage le mariage et aujourd’hui encore ce n’est pas un statut auquel elle rêve.
Elève studieuse, fascinée par les cours d’un professeur de l’Histoire de l’Art à l’université de Luminy, elle part quelques années à Rome pour parfaire sa formation et ne conçoit plus sa vie sans la peinture. Elle va y consacrer toute sa joie de vivre et sa passion pour les peintres provençaux, ses maîtres.
Des fenêtres de son atelier, elle aperçoit le quai de Rive neuve, de l’autre côté du port. L’animation des deux rives montent jusqu’à elle, et en fermant les yeux elle imagine l’odeur de la mer et des poissons, se dégageant de ces barques ramenant aux premières lueurs du jour, la pêche de la nuit. Certains pécheurs préfèrent partir aux aurores et revenir à la tombée du jour. C’est ainsi que l’anse, coté Canebière, grouille toute la journée d’une grande animation qui la ravie.
Souvent elle emprunte le ferry-boat pour traverser d’un quai à l’autre, avec le même plaisir que celui qu’elle éprouvait petite fille et pour se promener ensuite le long du quai de Rive neuve et remonter parfois jusqu’au jardin du Pharo où la vue sur la ville est superbe. Après un temps de pause elle peut retourner retrouver ses pinceaux avec les couleurs de la ville plein les yeux.
Voilà bien une quinzaine de jours que Madeleine refreine son envie d’aller manger sur la Place, se concentrant sur son exposition qui doit avoir lieu en novembre. C’est déjà la fin juin qui se profile et ce jeudi n’y tenant plus, c’est d’un pas joyeux et plein d’espoir qu’elle se dirige vers le restaurant.
A l’approche de la place elle ralentit le pas essayant d’apercevoir de loin les convives installés au restaurant. Dépitée elle n’aperçoit aucune veste en velours qui ressemble à celle qu’elle a gardé en mémoire. Faire demi-tour, rester ?...le maitre d’hôtel est à ses côtés avant qu’elle ne prenne une décision, tant pis, difficile de partir maintenant mais le repas lui semble aujourd’hui bien fade. Elle s’en veut maintenant d’avoir laissé le hasard décider pour eux.
Comme toutes les années en juillet et août on ne verra pas sa jolie silhouette sur la Place aux Huiles, trop de touristes, trop de bruit et certainement trop d’illusions déçues dans sa tête spécialement cette année.
Le mois de septembre est arrivé et Madeleine a besoin de s’aérer la tête. Aujourd’hui elle ne va pas se priver d’un moment agréable dans son restaurant préféré. Le maître d’hôtel l’accueille, heureux de son retour et l’accompagne à une table vers le fond de la terrasse et ....
A suivre ...peut être ![1]
A suivre ...peut être !