Et le voyage s’annonçait sous les meilleurs auspices…
Florence regardait avec amusement les voyageurs quitter rapidement le hall de l’aéroport et se précipiter vers le bus qui les accompagnerait sur le tarmac à l’emplacement de l’avion. Elle avait suffisamment voyagé à son âge pour savoir que ce dernier ne partirait pas sans elle ! Il n’est plus temps de faire des courses de vitesse, et qui va « piano va sano » se dit-elle !
Une jeunesse un peu plus impétueuse la bouscula un tantinet …alors qu’elle tourna la tête instinctivement, un homme jeune et non un jeune homme, se mit en retrait :
— Je vous en prie Madame passez…
Grand, élégant et de bonne mise, le visage buriné par le soleil faisant ressortir de beaux yeux bleus, la regardait avec un sourire bienveillant…
Elle dû se mordre les lèvres pour retenir la seule phrase qui lui venait à l’esprit : « Mon dieu comme vous êtes beau » ! Ce n’était ni de son style, ni de son âge et elle se retint juste à temps. Elle se contenta de lui sourire pour le remercier et reprit sa marche aussi tranquillement qu’elle le put.
L’inconnu lui facilita une fois encore le passage en contenant par sa présence près d’elle, l’assaut du bus par certains passagers et c’est tout naturellement qu’ils se trouvèrent près l’un de l’autre pour faire le court voyage jusqu’à l’avion.
Florence à soixante-dix ans passés a gardé une certaine jeunesse dans l’allure et il se dégage d’elle un charme qui se remarque quel que soit l’endroit où elle se trouve. De taille moyenne, mais pas assez grande à son goût, svelte aujourd’hui encore, avec un beau visage, elle a toujours prétendue « être moche » ce qui est complètement faux mais ça rend la tâche difficile lorsque quelqu’un s’avise de vouloir la prendre en photo ! C’est ainsi et il est inutile de vouloir la convaincre du contraire, et pourtant elle n’a rien de ces femmes froides et sans âme, elle est simplement belle de cette beauté qui irradie certaines personnes naturellement, de par leur façon d’être.
Inutile de dire que pas un instant elle ne pensa que le bel inconnu puisse s’intéresser à elle, et ç’avait été ainsi toute au long de sa vie malgré l’intérêt qu’elle suscita auprès de la gente masculine. Cette brève rencontre sympathique la fit sourire intérieurement et elle en pensa spontanément à son amie Laurette qui dans pareille circonstance n’aurait pas manqué de débarquer chez elle pour lui raconter sans reprendre souffle, comme elle avait fait une « touche » pendant son voyage.
Laurette adorait fantasmer sur chaque regard qu’elle rencontrait tout en se défendant d’une quelconque pensée qui ne soit pas le reflet de la réalité dans ses récits…mais ses histoires mettaient toujours du piquant aux moments partagés.
L’installation se fit sans incident dans l’avion y compris la mise du bagage à main dans le coffre pourtant à bonne hauteur et déjà pas mal utilisé. Le commandant de bord fit comme à l’accoutumé son discours d’accueil et comme à l’accoutumé les hôtesses firent leurs démonstrations que Florence écouta d’une oreille distraite. Elle avait choisi une place près du hublot et après quelques mots de politesse avec la passagère à sa gauche, elle s’absorba dans la contemplation du paysage.
L’avion s’éleva en douceur dans un ciel serein et sans nuage. Malgré le plaisir du voyage Florence regarda avec un peu de nostalgie comme à chaque fois, son île disparaitre petit à petit pour survoler une mer calme et où on apercevait des bateaux de plaisance qui devenaient de plus en plus petits au fur et à mesure que l’avion prenait de l’altitude en même temps qu’il s’éloignait des côtes.
La contemplation de cette mer si calme lui occasionna une certaine somnolence, augmentée par les rayons du soleil qui la caressaient à travers le hublot. Elle ferma les yeux et repensa au bel inconnu, installé quelques rangées à l’arrière. Cet échange de politesse pourtant bien anodin, ouvrit la porte de certains souvenirs auxquels elle ne pensait jamais. Sa vie bien remplie, le refus de toute nostalgie faisait qu’elle avait tourné des pages, fermé des portes, sans jamais émettre regret ou plainte sur ce qui avait été. La vie lui avait apporté joies et peines comme à tout un chacun et il fallait vivre le présent le mieux possible.
Ce retour sur sa vie amoureuse l’amusa et en même la gêna un court instant… il lui semblait qu’elle pénétrait dans des secrets qui ne lui appartenaient pas. Sa bonne humeur reprit rapidement le dessus, et elle retint avec beaucoup de mal le fou rire qui tout d’un coup la saisit. Au fait se dit-elle, mariée deux fois, sans attache depuis quelques années déjà , combien d’hommes ont traversé ma vie ?
— Plus de deux c’est sûr mais cinq…dix…vingt ? plus…moins ?je n’en sais rien, comme c’est bizarre, je suis sûre que d’instinct un homme pourrait dire un nombre ! il va falloir que je compte... alors il y eut mon premier flirt j’avais quel âge ? 15…16 ans ?...
Alors qu’elle commençait à chercher prénoms et visages, le soleil à travers le hublot se fit plus chaud et elle s’endormi.