Mathéo regardait la neige tomber sur la montagne proche, juste à courte distance au-dessus du village. Le ciel bas laissait présager qu’elle ne tarderait pas à arriver plus près encore, à quelques jours de noël cela semblait normal . Grace à Dieu se disait-il, les troupeaux étaient à l’abri dans les étables et avaient suffisamment de fourrage pour tenir jusqu’au printemps. Comme tous les bergers il avait fait le retour de la transhumance dans la première quinzaine d’octobre, ce qui avait permis que chèvres, moutons et brebis puissent encore paître l’herbe dans les champs des alentours.
Plus beaucoup d’Anciens dans le village, mais ceux qui y résident encore ne manquent pas à l’approche des fêtes de rappeler aux « jeunots », comme Mathéo, bien qu’il aille sur la quarantaine, la tradition concernant l’engagement des bergers dans les jours qui précédent la noël de ne pas manger de viande jusqu’à la tumbera, vœux que chacun respecte toujours scrupuleusement encore de nos jours.
Les jeunes du village, venus en vacances scolaires dans la maison familiale, écarquillent grands les yeux en entendant parler de Tumbera et souvent interpellent Mathéo toujours disposé à discuter avec eux :
- Mathéo vient voir, mais c’est quoi la tumbera, dis-nous…
- Oh les jeunes, lorsqu’avec votre couteau vous vous coupez une belle tranche de jambon dans la cave des grands-parents ou que vous grillez un figatellu dans la cheminée vous croyez que c’est venu là tout seul ?
- Ayo [1]!Tu ne nous dis pas ce que ça veut dire Mathéo !
- C’est la « tuaison » des cochons les enfants pour qu’après vous puissiez vous régaler !C’est pour ça qu’on fait ça à l’approche de noël de sorte qu’on puisse manger toutes les parties périssables pendant les fêtes : boudin, fromage de tête etc.
- Va bè[2], hè detta[3] pour la charcuterie mais voir tuer les cochons nous on préfère aller voir ailleurs ce jour-là !
- Mi ![4]Ange, on pourrait dire que c’est barbare mais c’est nos traditions et le cochon dans les familles est une source importante de nourriture comme la châtaigne où nos fromages, et tout ça vous aimez bien ! C’est aussi la fête pour les familles du village, tout le monde s’entraide.
Si les hommes tuent les bêtes, les femmes toutes ensemble, s’affairent pour la préparation des abats et du sang…Et les vœux des bergers vous connaissez sans doute, on a bien du vous en parler dans les veillées, mais savez-vous que si une seule fois un berger rompt son vœu et mange de la viande avant la tumbera, la viande du cochon qu’il vient de tuer, pourrit ? Et je vous assure que ce n’est pas qu’une croyance !
- Allora à dumani[5] Mathéo !
- A dumani i zitèli [6]!