En cette mi-décembre, la neige est tombée drue toute la nuit dans ce village accroché à flanc de montagne. Le feu s’est éteint pendant que les occupants dormaient et malgré les murs épais de la maison, le froid se fait sentir particulièrement dans la pièce à vivre du rez-de-chaussée. A l’étage, dans les chambres, la température y est toujours plus clémente grâce au plancher aux larges lames en châtaigner qui permettent à la chaleur du focone de s’y diffuser toute la journée. Santa*, descend l’escalier en resserrant un peu plus le châle sur sa poitrine.
La grande pièce à vivre possède non seulement un focone, gardé en place par respect des anciens qui ont occupé les lieux, mais aussi une vaste cheminée. Il faut maintenant réveiller les braises et rajouter des bûches pour que toute la maison se réchauffe vite et ses habitants avec.
Compte tenu de la saison, les hommes de la maison, le mari et le fils le plus jeune qui vit avec eux, pas disposé comme les aînés à partir sur le continent, dorment encore profondément. Il sera temps dès le printemps de se lever aux aurores pour aller aux champs. Dès les premiers crépitements et les premières flammes, Santa rassurée, se dirige vers la cuisine pour préparer le premier café de la journée. La cafetière restera à l’angle de la cheminée bien au chaud pour que chacun puisse se servir à sa convenance.
C’est avec un peu difficulté qu’elle ouvre l’épaisse porte en bois bloquée par la neige. Un doux silence recouvre le village grâce au moelleux tapis qui s’est constitué dans la nuit. Elle imagine les bons feux de cheminée allumés dans chaque maison en voyant la fumée s’échapper par les toits et sourit en pensant aux bonnes grillades qui s’y feront ce midi. C’est la saison de la tuaison du cochon et le figatellu cuit au bout d’un spitu aiguise les appétits, à condition de recueillir religieusement, sur des belles tranches de pain de campagne le jus avant qu’il ne tombe dans la braise. C’est tout un rite cette cuisson !
Le chien, dans la cour du voisin le plus proche, ne s’y amuse guère longtemps et rejoint rapidement son maître resté sur le pas de la porte qui scrute le ciel. Dans quelques heures, les hommes prendront les pelles pour libérer un passage, pour le moment tout semble au repos. Ce matin, le ciel est éclatant de pureté, serein, après un ciel gris et bas, cotonneux, des jours précédents. Il ne neigera certainement plus d’ici la noël.
Le soir du 24 décembre en attendant la messe de minuit, les jeunes garçons et filles du village, par petits groupes et dans l’esprit de la veillée de noël, se rendront dans 7 foyers afin de proposer une bûche pour alimenter une belle flambée et tenir un moment compagnie en priorité à ceux qui n’auront pas la chance d’être avec leur famille.
Pendant qu’on dégustera quelques châtaignes grillées dans la cheminée, des canistrelli préparés par la maîtresse de maison, une tranche de panette, on y évoquera aussi quelques histoires du temps passé. Cette tradition ancestrale reste ancrée et se perpétue, plus spécialement dans le nord de la Corse.
Santa, se sent très heureuse en imaginant l’arrivée très prochaine de sa famille. Un pas fait craquer l’escalier en bois et la tire de sa rêverie :
Allons, assez de distraction comme ça pour la journée, il est temps de se mettre à l’ouvrage, noël c’est presque demain…
* Santa...( sainte) prénom féminin corse , probablement diminutif de Toussainte.