Le coup dont tu te plains t’a préservé peut-être
Enfant, car c’est par là que ton cœur s’est ouvert.
L’homme est un apprenti, la douleur est son maître
Et nul ne se connaît tant qu’il n’a pas souffert.
C’est une dure loi, mais une loi suprême
Vieille comme le monde et la fatalité,
Qu’il nous faut du malheur recevoir le baptême,
Et qu’à ce triste prix tout doit être acheté.
La moisson pour mûrir a besoin de rosée ;
Pour vivre et pour grandir l’homme a besoin de pleurs.
La joie a pour symbole une plante brisée
Humide encore de pluie et couverte de fleurs.
Ne te disais-tu pas guéri de ta folie,
N’es-tu pas jeune heureux partout le bienvenu ?
Et ces plaisirs légers qui font aimer la vie,
Si tu n’avais pleuré, quel cas en ferais-tu ?
Lorsqu’au déclin du jour, assis sur la bruyère
Avec un vieil ami tu bois en liberté,
Dis -moi, lèverais-tu d’aussi bon cœur ton verre,
Si tu n’avais senti le prix de la gaieté ?
Comprendrais-tu des cieux l’ineffable harmonie,
Le silence des nuits, le murmure des flots,
Si quelque part, là-bas, la fièvre et l’insomnie
Ne t’avaient fait songer à l’éternel repos ?
Alfred de Musset