La crèche de Norine

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Le mois de novembre déverse sur les terres avoisinantes, toute l’eau qui s’est évaporée avec la canicule de cet été. Ce n’est que justice, se dit Norine installée confortablement dans son fauteuil, près de la cheminée. Il faut rendre à la terre ce qu’on lui a pris, bien qu’il en manquera bien toujours un peu ! À moins que « là-haut », ils n’aient commencé à laver les sols en prévision des fêtes de Noël, c’est peut-être ça, toute cette pluie !
C’est l’heure du repos de l’après-midi, l’heure où elle prend le temps de laisser son esprit vagabonder ici et là.
- Ce n’est pas le bruit de l’orage qui va m’empêcher de penser aux fêtes prochaines !
César, le berger, son chien installé à ses pieds, est rentré depuis peu de la montagne. C’est d’un œil un peu endormi, qu’il suit les propos de la maîtresse des lieux. Il sait qu’il peut se laisser aller à une douce somnolence, ceci n’empêchant pas Norine de poursuivre son monologue. De temps en temps, par un léger hochement de tête il lui donne l’impression qu’il suit la conversation, et l’après-midi pourra s’écouler ainsi dans la douceur de la pièce.
- César je sais que tu ne t’intéresses pas à ce que je dis, n’empêche qu’il va falloir se bouger dans peu de temps. Tu t’imagines, c’est bientôt déjà la fin de l’année ! En fait, le temps passe si vite qu’il va falloir que je m’y mette sans tarder.
- Je t’écoute Norine, je t’écoute…
- Tout d’abord il faut faire propre la maison, oui je sais elle est propre, mais quand même il faut vérifier d’un peu plus près qu’aucune araignée ne se soit mise au chaud dans les recoins des poutres. Tu imagines installer la crèche au milieu de poussières ! Boudiou, je préfère ne pas y penser ! Après il faut aller au grenier chercher les cartons avec les santons. César tu n’imagines même pas combien « Avé de pan à la paniero » ! Les santons, d’accord on les as rangé avec soin, mais on ne sait jamais, tu as bien entendu, parler de la révolte des santons, imagine qu’ils leur aient pris l’idée de se disputer entre eux ? Et tu sais que Jésus est né en Provence ?
César émerge un peu de son somme :
- Où ça…où ça en Provence ?
- Ah je savais bien que tu dormais ! C’est juste une chanson de la pastorale de Robert Miras qui le prétend, rendors-toi, pécaïre tu dois être fatigué !
- Fatigué ? Non bah ça va, je suis plutôt un peu ensuqué à cause de la cheminée. Mais hé bé Norine, moi je dis que ça aurait pu, Jésus né en Provence ! La preuve, c’est que les premiers santons ont vu le jour à Marseille et non en Italie, comme je te le dis !
- C’est vrai ça ! Autrement César, je vais avoir besoin de toi.
- Et pourquoi faire ma Nine ?
- Je vais renouveler un peu le décor de ma crèche ! Est-ce que tu veux bien m’accompagner dans la garrigue ?
- Dans la garrigue, et pourquoi faire ?
- Té pardi, pour y chercher la mousse mais il faut aussi du genévrier, du romarin, du thym, du ciste, et puis tout ce qu’on y trouvera sans abîmer la nature. Tu comprends, nos crèches rappellent la Provence certes, mais il faut qu’il s’en dégage aussi tous les parfums de nos collines !
- C’est vrai que nos collines sentent bon en toutes saisons !
- La foire aux santons c’est bientôt, je m’en irais bien y faire un tour ! Qu’est-ce que tu dirais d’ une petite ferme qui ferait penser à la nôtre ?
- Et le moulin à eau, tu l’as le moulin à eau ? Mèfi, pas de curé dans ta crèche !
- Fada, qué mè dis ? Un capelan ! Alors je pourrai y mettre aussi le facteur ! Vaï, soit tranquille, ni l’un ni l’autre dans ma crèche ! Le moulin je l’ai, rassure toi ! Mais dis-moi, dans la crèche il y a le Pistachier, tu crois qu’on l’a appelé comme ça, à cause de la plante qu’on trouve dans la colline ?
- Tu me fais sourire Norine, il y a un peu de çà ! Figure-toi que le Pistachier, certains y mettent un R à son nom, d’autres un accent sur le E ,bref c’est un valet de ferme, qu’on le disait avoir un penchant très prononcé pour les jolies femmes. Son surnom lui aurait été donné du fait que la plante du même nom aurait des vertus aphrodisiaques. Mais tu sais on dit tant de choses !
- César moi j’ai un grand faible pour Grasset et Grassette, tu les connais ?
- Pardi Norine si je les connais ! Un couple de « vieux » bien sympathiques ! Il y aurait encore beaucoup à dire sur nos santons mais vaï Norine, on en reparlera, là je vais m’en rentrer , mais quand tu veux on y va dans la garrigue, un jour de soleil pardi.
- Adesias César, bon retour, tu ne perdras pas en route mais fait attention dans la calado de ne pas tomber, avec cette pluie c’est glissant !