LE BARBOUILLÉ.
- Cathau, Cathau ! Hé bien ! qu’a-t-elle fait, Cathau ? et d’où venez-vous, madame la carogne, à l’heure qu’il est, et par le temps qu’il fait ?
ANGÉLIQUE
.- D’où je viens ? ouvre-moi seulement, et je te le dirai après.
LE BARBOUILLÉ.
- Oui ? Ah ! ma foi, tu peux aller coucher d’où tu viens, ou, si tu l’aimes mieux, dans la rue : je n’ouvre point à une coureuse comme toi. Comment, diable ! être toute seule à l’heure qu’il est ! Je ne sais si c’est imagination, mais mon front m’en paraît plus rude de moitié.
ANGÉLIQUE.
- Hé bien ! pour être toute seule, qu’en veux-tu dire ? Tu me querelles quand je suis en compagnie : comment faut-il donc faire ?
LE BARBOUILLÉ.
- Il faut être retirée à la maison, donner ordre au souper, avoir soin du ménage, des enfants ; mais sans tant de discours inutiles, adieu, bonsoir, va-t’en au diable et me laisse en repos.
ANGÉLIQUE.
- Tu ne veux pas m’ouvrir ?
LE BARBOUILLÉ.
- Non, je n’ouvrirai pas.
ANGÉLIQUE.
- Hé ! mon pauvre petit mari, je t’en prie, ouvre-moi, mon cher petit cœur.
LE BARBOUILLÉ.
- Ah, crocodile ! ah, serpent dangereux ! tu me caresses pour me trahir .
ANGÉLIQUE.
- Ouvre, ouvre donc.
LE BARBOUILLÉ.
- Adieu ! Vade retro, Satanas .
ANGÉLIQUE.
- Quoi ? tu ne m’ouvriras point ?
LE BARBOUILLÉ.
- Non.
ANGÉLIQUE.
- Tu n’as point de pitié de ta femme, qui t’aime tant ?
LE BARBOUILLÉ.
- Non, je suis inflexible : tu m’as offensé, je suis vindicatif comme tous les diables, c’est-à-dire bien fort ; je suis inexorable.
ANGÉLIQUE.
- Sais-tu bien que si tu me pousses à bout, et que tu me mettes en colère, je ferai quelque chose dont tu te repentiras ?
LE BARBOUILLÉ.
- Et que feras-tu, bonne chienne ?
ANGÉLIQUE.
- Tiens, si tu ne m’ouvres, je m’en vais me tuer devant la porte ; mes parents, qui sans doute viendront ici auparavant de se coucher, pour savoir si nous sommes bien ensemble, me trouveront morte, et tu seras pendu.
LE BARBOUILLÉ.
- Ah, ah, ah, ah, la bonne bête ! et qui y perdra le plus de nous deux ? Va, va, tu n’es pas si sotte que de faire ce coup-là.
ANGÉLIQUE.
- Tu ne le crois donc pas ? Tiens, tiens, voilà mon couteau tout prêt : si tu ne m’ouvres, je m’en vais tout à cette heure m’en donner dans le cœur.
LE BARBOUILLÉ.
- Prends garde, voilà qui est bien pointu.
ANGÉLIQUE.
- Tu ne veux donc pas m’ouvrir ?
LE BARBOUILLÉ.
- Je t’ai déjà dit vingt fois que je n’ouvrirai point ; tue-toi, crève, va-t’en au diable, je ne m’en soucie pas.
ANGÉLIQUE, faisant semblant de se frapper.
- Adieu donc !... Ay ! je suis morte.
LE BARBOUILLÉ.
- Serait-elle bien assez sotte pour avoir fait ce coup-là ? Il faut que je descende avec la chandelle pour aller voir.
ANGÉLIQUE.
- Il faut que je t’attrape. Si je peux entrer dans la maison subtilement, cependant que tu me chercheras, chacun aura bien son tour.
LE BARBOUILLÉ
.- Hé bien ! ne savais-je pas bien qu’elle n’était pas si sotte ? Elle est morte, et si elle court comme le cheval de Pacolet . Ma foi, elle m’avait fait peur tout de bon. Elle a bien fait de gagner au pied ; car si je l’eusse trouvée en vie, après m’avoir fait cette frayeur-là, je lui aurais apostrophé cinq ou six clystères de coups de pied dans le cul, pour lui apprendre à faire la bête. Je m’en vais me coucher cependant. Oh ! oh ! Je pense que le vent a fermé la porte. Hé ! Cathau, Cathau, ouvre-moi.
ANGÉLIQUE.
- Cathau, Cathau ! Hé bien ! qu’a-t-elle fait, Cathau ? Et d’où venez-vous, Monsieur l’ivrogne ?
Ah ! vraiment, va, mes parents, qui vont venir dans un moment, sauront tes vérités. Sac à vin infâme, tu ne bouges du cabaret, et tu laisses une pauvre femme avec des petits enfants, sans savoir s’ils ont besoin de quelque chose, à croquer le marmto tout le long du jour.
LE BARBOUILLÉ.
- Ouvre vite, diablesse que tu es, ou je te casserai la tête.
je cherchais un texte un peu ...comment dire...à défaut d'être inédit pas trop connu !<br />
bisous
A
ABC
16/01/2020 15:43
J'ignorai ce Barbouillé et ai été bien aise de le découvrir chez toi :-)<br />
Molière a toujours eu l'art de faire rire tout en traitant des sujets qui pourraient porter à pleurer.
Je n'ai jamais non plus trouvé cette farce sur "mon chemin" de lecture :-) et comme je cherchais ce matin quelque un écrit pas trop connu , la trouvaille a été bonne.
N
Nina Padilha
16/01/2020 13:38
Houlala, quel voisinage mouvementé !<br />
Et toi, quelle plume !<br />
Bizzz
Et bien c'est une belle découverte ! Je ne connaissais pas ce texte, comme quoi il serait temps que je relise mes classiques en plus c'est très drôle :) Un grand merci pour ce partage...<br />
Je voulais te poser une question qui n'a rien à voir. As-tu des nouvelles de Daniel (qui signe Daniel10) j'ai été étonnée en voulant aller lui souhaiter une bonne année, de trouver son blog "à mots pesés" vidé de ses articles, alors tu comprends mon inquiétude...je sais qu'il s'était inscrit à vos défis d'écriture...et je me demandais s'il avait changé de plateforme tout simplement. Si tu sais quelque chose, j'aime bien aller le lire...Bisous et une belle journée
Cette farce de Molière semble peu connue...merci internet d'être là pour nous permettre de découvrir ces textes :-) Pour Daniel....je n'avais plus d'avis de publication depuis décembre mais j'ai pensé à une simple pose. Effectivement son blog a été vidé de tout son contenu et je le regrette car j'avais grand plaisir à le lire. Ceci m'était déja arrivé une fois et puis je ne sais par quel miracle je l'avais retrouvé sur un nouveau blog...La vraiment je n'en sais rien. ESpérons qu'il se manifestera à nouveau. Bisous
M
Maryline
16/01/2020 11:55
je ne connaissais pas ce texte de Molière, les dialogues sont truculents! <br />
Sur scène, les rires des spectateurs doivent fuser! ah la jalousie! <br />
Merci pour cette découverte!<br />
Belle journée!
:-) j'ai l'impression de découvrir cette pièce pour la première fois...je ne crois pas d'avoir jamais lu quoique ce soit, à moins que ma tête ne me joue des tours !<br />
<br />
bisous
J
jill bill
16/01/2020 10:07
Une quinzaine théâtrale avec la capitaine fanfan à la barre ! Loin de tout connaître avec les Racine, Molière et Corneille dont les écrits sont bien d'un autre temps... mais les jalousies demeurent, merci, bises
et là tu fais un tas de découvertes ! j'ai l'impression qu'il me reste plus à découvrir malgré tous mes cours de français et toutes mes lectures ! <br />
bisous
M
Marie des vignes
16/01/2020 09:47
Bonjour, je ne connaissais pas cette pièce de Molière, j'ai des lacunes dans les classiques; bisous et bonne journée MTH