M’âme Joseph n’en croit pas ses yeux ! Cette silhouette qui s’avance dans leur direction, non ce n’est pas possible, pas elle !
— M’âme Germaine, vous voyez ce que je vois ?
– Et vous voyez quoi, vous me semblez toute tourneboulée ? Vous êtes pâle comme un linge blanc, alors que nous parlions tranquillement toutes les deux, aurai-je dit quelque chose de mal ?
— Oh pas du tout ! C’est plutôt une revenante que je croyais …
— Vous croyez quoi, M’âme Joseph, que j’étais morte peut-être ?
M’âme Églantine qui s’est approchée suffisamment pour entendre la dernière partie de la phrase, retrouve très vite son ton d’autrefois, du temps où elle ne ratait jamais une occasion de remballer l’une ou l’autre .
— Comme vous y aller M’âme Églantine, ce n’est pas du tout ce que je voulais dire, vous pensez bien , nous l’aurions su !
— Et vous en seriez réjouies ! Pas de chance je suis toujours là !
— Nous en sommes ravies vous pensez bien ! Mais il y a si longtemps que nous ne vous avons plus vu, alors on se disait que sûrement, tiens tout simplement, vous n’aviez plus envie de sortir, ça arrive !
— Oui, ça arrive, mais pas à moi !
— Vous avez l’air en plein forme, vous étiez alors, peut-être en voyage ?
— Est-ce que nous étions sur la même planète vous et moi ? Vous vous rappelez sans doute qu’il y a eu des périodes de confinement ?
— Ah c’est vrai ! Voyez comme c’est drôle, on finit par presque oublier ! En fait, moi je n’avais personne pour faire les courses, alors il fallait bien sortir un peu pour se nourrir, pas vrai M’âme Germaine ?
— Drôle de période, pour sûr ! Qui aurait pu penser qu’une chose pareille arrive, enfin nous sommes là et c’est le principal ! Très heureuse de vous revoir M’âme Églantine !
— C’est bien aimable à vous, M’âme Germaine, Ce n’est pas ce que pensent certains ! Enfin, il faut de tout pour faire un monde, alors ce marché, des choses intéressantes ?
— L’ambiance ce n’est plus ça, pas vrai M’âme Joseph ?
— C’est comme vous le dites, je suis tout à fait d’accord, on dirait que le cœur n’y ait plus !
— Le dimanche, on ne peut plus faire un pas sans être racolée par les uns ou les autres !
— Ah bon ! C’est devenu dangereux de faire son marché ?
— Non, non, ce que veut dire M’âme Joseph, que les élections présidentielles n’étant pas très loin, il y a beaucoup de candidats, enfin pas eux-mêmes, mais des gens qui font campagnes pour eux, qui distribuent des tracts !
— Et après les gens de la mairie se plaindront que la ville est sale avec tous ces papiers que les gens jettent, sans les lire la plupart du temps !
M’âme Germaine qui essaye toujours de l’amadouer ne peut aller que dans son sens.
— Je suis bien d’accord avec vous M’âme Églantine, c’est bien du gâchis ! Mais vous, qu’est-ce que vous pensez des prochaines élections présidentielles ? Sur le marché chacun dit la sienne…On a bien du mal à s’y retrouver !
— Pour le moment je n’en pense rien. Attendons qu’on sache pour de bon qui sera candidat ! Allez Mesdames, il est temps que je m’avance, avant que les producteurs remballent ! Au plaisir de vous revoir !
— Au plaisir ! S’exclament les deux commères, pas plus convaincues que cela, sera un plaisir. M’âme Églantine de son côté se dit que si elles avaient voulu la piéger pour savoir de quel côté penche son cœur, elles en sont pour leurs frais.
Je constate que la vie a continué son petit train-train sans changer les deux pipelettes que je viens de rencontrer ! Motus et bouche cousue, je n’ai pas changé de devise ! En fait M’âme Germaine, je l’aime bien mais elle m’agace à fréquenter l’autre ! Je me demande quand même, si M’âme Joseph n’a pas grossi ? C’est sûr, pendant le confinement, elle a dû se goinfrer ! Et à son âge pas facile de perdre les kilos !Tant pis pour elle ! Il est temps que je me hâte un peu si je ne veux pas me retrouver avec tous les restes du marché.
Alors qu’elle arrive près du primeur, une personne l’interpelle :
— Bonjour M’âme Eglantine. Tiens j'avais entendu dire qu'elle marchait avec une canne, elle veut faire sa jeunette aujourd’hui ?
— Bonjour, vous allez bien ? C'est qui, mince foutu masque on reconnait personne !
— Oui M’âme Eglantine, je vais bien et Horace?
— Il va bien, mais excusez-moi, il faut que j'aille justement puisque on parle de lui, chez le boucher ça fait un moment qu'il n'y pas eu son mou...
— Bonne journée M’âme Eglantine, à tout bientôt j'espère
— Oui sûrement ! Tout juste si elle ne me tutoie pas, elle doit me connaître, mais je ne la remets pas comme ça...Avec ces masques on ne reconnait plus personne, quelle galère !
Si certaines personnes qu’elle croise, s’étonnent en l’apercevant se diriger vers les étales, les regards sont discrets. Il n’est pas question d’entamer des polémiques en ce jour ensoleillé, qui se présentait sous les meilleurs auspices. C’est, qu’avec M’âme Églantine, on ne sait jamais comment peut évoluer une conversation.
Cette dernière, est bien consciente de la curiosité des uns et des autres, mais il est nullement question, qu’elle entame la première, la conversation.
Pour cette sortie dominicale, elle a choisi les maraîchers qu’elle ne connait pas encore. Il lui faut un peu de temps pour retrouver ses habitudes, de plus elle craint d’avoir perdu de ses reparties dont elle avait le secret. Le panier bien garni, c’est enfin vers la boucherie qu’elle se dirige.
Pssst... c'est un peu en désordre !
Ce chapitre vient avant "le mou d'Horace" !