
Églantine a donc un travail et une chambre pour se loger, sa sœur cadette est pour le moment toujours à Marseille et son amoureux n'est pas très loin, avec la possibilité de se voir presque tous les soirs, le bonheur quoi. Un peu plus d'une année s'écoule, et malgré le service militaire à rallonge les amoureux décident de se marier ce qui ne fut pas, mais alors tout du goût de «mamie-encore»
- Est ce que tu te souviens de qui était «mamie-encore»?
- Oui mon arrière grand-mère mais pourquoi «mamie-encore»?
- quand tu étais petit il y avait donc moi, ta mamie et puis ma belle-mère que mes enfants appelaient mamie, alors pour t'y retrouver tu avais décidé de l'appeler comme ça. A l'adolescence tu t'es mis un jour à la vouvoyer par respect pour son âge, t'en souviens tu ? Elle ne comprenait pas ce changement soudain, d'autant que tu la voyais souvent , c'était quelqu'un de très proche de toi. Il est vrai qu'en vieillissant elle avait de plus en plus une attitude, je ne sais comment dire , peut être respectable ? De ces personnes qui ont un certain maintien quelques soient les événement qui traversent leur vie.
- Tu disais donc ma mamie qu'elle n'était pas contente de vos projets de mariage ?
- c'est le moins qu'on puise dire mon petit fils mais elle avait quelques excuses. En effet la famille de ton arrière grand-père avait subit de gros avatars pendant la guerre, elle se retrouvait veuve avec deux enfants à charge alors qu'elle avait connu une situation aisée du temps ils étaient grossistes en vins et liqueurs, et de plus ton papy était toujours militaire.
Nous étions jeunes, impatients et on ne pouvait pas voir la situation du même coté de la lorgnette. Je travaillais et nous ne demandions qu'a être ensemble. J'étais trop attachée à ma propre famille pour rester indifférente aux conflits qu'affrontaient ton grand-père avec sa mère tous les dimanches où il allait la voir, aussi je décidais de faire preuve d'un peu de diplomatie et pourquoi pas d'affection à son égard sans la connaître. Ce ne fut pas aisé ! c'était une personne à forte personnalité et qui faisait face seule depuis quelques années !
Ma patience et mes bonnes dispositions eurent gain de cause, du bout des lèvres certes, mais il n'y a que le résultat qui compte ! On ne commençait pas notre relation dans les meilleures conditions mais enfin une brèche était faite,
- vos relations par la suite furent difficiles mamie ?
- hum! Je ne dirais pas ça tout à fait comme ça !C'était une femme qui aimait bien avoir son mot à dire, peu démonstrative mais qui était intelligente. J'étais jeune et en soif d'affection, j'aimais ton grand père et je souhaitais vivre dans un climat serein, enfin de compte on va dire que bon an mal an, les choses n'étaient pas dramatiques et une certaine affection s'installât entre nous assez rapidement.
De ton arrière grand-père que je n'ai pas connu, je retiendrais qu'il avait le sens du commerce et que c'était un fin préparateur de liqueurs et d'apéritifs. Certes il y avait des marques célèbres même à cette époque mais il y avait aussi des produits qui se vendaient d'un travail plus artisanal et de ce que j'ai compris, il y excellait. Il n'a jamais voulu donner ses secrets de fabrication même à sa famille et si ton grand père est têtu il doit tenir un peu de lui !
- et alors ce mariage ma mamie, vous l'avez fait où et dans quelles conditions?
- à Marseille début 1958, un petit mariage très simple à Saint Victor. Mes parents n'avaient pas pu venir, mes deux sœurs étaient là, mon beau frère et sa famille ainsi qu'une sœur de ma mère qui habitait Marseille depuis fort longtemps. C'est l'oncle de mon beau frère qui m'a conduite à l'église et puis il y avait encore des cousins, la marraine de ton grand-père et sa sœur, voilà c'était à peu près tout .Nous avons par la même occasion fait le baptême de mon petit neveu qui avait quelques mois.
La marraine de ton grand-père tenait un magasin de détails de vins et liqueurs à Arles. Elle était associée avec ton arrière grand père, lui grossiste. Elle vivait avec une sœur et j'ai été adoptée très vite; du moment que le filleul était heureux j'étais non seulement la bienvenue mais autant gâtée que ton grand père. Elles n'avaient pas d'enfant, nous étions les leurs, ainsi que nos enfants par la suite.
Églantine avait fait avant le mariage, connaissance de la grand-mère de ton papy et de sa tante. De caractère très différent de sa sœur, donc de ton arrière grand-mère , tu suis toujours ?
- mamie je m'y perds un peu ! Et c'est d'autant plus difficile pour moi que je ne les ai pas connus !
- on reprend: mamie-encore, avait une maman et une sœur, tu vois c'est simple lol ! La maman, un petit bout de femme jolie, je la revois souriante, pas très grande, l'âge et la maladie l'avaient repliée sur elle même, et qui avait élevée avec beaucoup de courage, ses deux filles seule, après le décès de son mari, mort à l'age de cinquante trois ans. Elle est décédée six mois après notre mariage.
La sœur, mince, moins grande que «mamie- encore», une longue chevelure qui n'avait jamais vu le coiffeur et qu'elle gardait en chignon, vivait par choix, de façon modeste. Comptable dans une boucherie, elle veillait au bien être de sa mère et s'était occupé de ses neveux pendant la guerre. Ah oui j'ai du oublier de te préciser que ton papy avait un jeune frère, adorable. L'adoption d'Églantine s'était faite spontanément par cette partie là de la famille, c'était déjà ça de gagné !
Peu de temps après le mariage, le jeune couple quitta la petite chambre et s'installât dans un deux pièces que leur loua la tante d'Églantine, en rez de chaussée de sa villa, en banlieue. C'était un peu humide mais ton grand père était bricoleur, mère-grand savait coudre, à eux deux ils commencèrent à en faire un petit endroit sympathique et douillet.
1958 c'était aussi la guerre d'Algérie, le mari d'Églantine, (eh oui maintenant c'était son mari!) avait été exempté de départ, compte tenu d'une forte myopie. Tsst je te vois venir ! Ce n'est pas parce qu'il était myope qu'il tomba amoureux de moi, pour ça il y voyait assez clair !
- oh ma mamie je n'ai jamais pensé ça !
- je sais bien, c'était juste pour te taquiner. Donc malgré sa myopie trois mois seulement après leur mariage il partit comme les autres militaires. Elle se souvient comme si c'était hier de cette dernière soirée ou il la quitta pour rejoindre le camp de Carpiagne près d'Aubagne. Comment arrive t on à faire face? Elle ne sait pas mais de toutes façons il n'y a pas le choix.
Commence alors dès son arrivé en Algérie un échange des courriers journaliers dans les deux sens. Elle n'apprendra qu'a sa démobilisation une partie de ses conditions de vie là bas, et l'homme qui est parti ne sera pas le même que celui qu'elle retrouvera plus d'un an après. Il parlera peu de ce vécu, au fil des années parfois quelques bribes mais très peu. Le facteur et le vaguemestre auront beaucoup de travail, ils ont besoin tous les deux de ce lien, leur vie se fait à travers ces courriers.
Un petit bébé était en route, ton père. Les méthodes de contraception n'étaient pas spécialement efficaces à l'époque et d'ailleurs y avaient-ils pensés ?ce n'est pas sur ! Ils avaient au moins pu partager ce moment de joie avant son départ.
Elle prend un bus tous les matins pour retrouver le centre ville et son travail. Les mois passent ainsi avec comme attente de la journée, le passage du facteur, parfois elle reçoit en supplément un courrier sur son lieu de travail. Les trajets deviennent un peu plus fatigants au fur et a mesure que de sa grossesse s'avance car le bébé semble de bonne taille, tant et si bien que ses collègues ont installé une chaise longue dans un bureau pour qu'elle puisse se reposer en arrivant le matin!
Sa nièce vient lui tenir compagnie dans les derniers temps. Églantine ne sait pas si son mari va pouvoir être là pour l'accouchement. Il se fera sans lui et ce n'est que quelques jours après la naissance qu'un soir assez tard on cogne à la porte, il est enfin là pour une permission éclair.
Note d’Églantine:
L' horoscope de la naissance de «bébé» prévoyait qu’il serait «un coupeur de cheveu en quatre» et ils avaient raison et ce n’est pas toi son fils qui va dire le contraire? …on l’aime quand même!
Et puis c'est de nouveau le départ pour l' Algérie, maintenu sous les drapeaux jusqu'en mars 1959, et enfin démobilisé.
- Plus de deux ans de service militaire ? ca n'a rien à voir avec la journée que nous faisons , mamie !
- effectivement ! un bon morceau de vie qui laisse des traces.
1er édition