J'exerce le métier de fantôme. C’est une occupation à plein temps et je pourrais même dire à vie et qui m’enchante.
Le château construit dans les années 1850, au bord de l’océan par la famille de Saint Martinet de la Source Au bois, est devenu mon refuge, le théâtre de toutes mes facéties.
J'aime perturber les réunions de famille, en me cachant derrière les lourdes tentures, faisant tomber des objets au moment où l’on sert la soupe ce qui a pour effet de projeter des éclaboussures sur la belle nappe tant les convives ont du mal à maîtriser leur geste sous l’effet de la surprise. D'un regard insistant, je transforme les hôtes en statues, le temps pour moi de les photographier, photos que je sèmerai au gré de ma fantaisie dans toutes les pièces du château.
J'adore projeter des ombres géantes dans le jardin à la nuit tombée. Lors des pluies j'ajoute le bruit du tonnerre que je crée de toute pièce même les soirs de pleine lune sur un ciel étoilée, en y mêlant le bruit du vent s’engouffrant dans les arbres. Le ciel reste serein et la tempête est pourtant là, près d’eux complétement abasourdis…
C'est ainsi que je voyage à travers les murailles mais me faisant discret pour que personne ne puisse affirmer avoir vu un fantôme. Je me coule au milieu de cette funeste famille sur la pointe des pieds et pourvu de chaussons, n’ont-ils pas envisagé de vendre mon château sans se préoccuper de mon devenir les ingrats !
Silhouette errante sans contour et sans bruit, renversant un verre par ci, éteignant une lampe par-là à moins que ce ne soit le feu dans la cheminée, dérobant un téléphone dont le bruit m’agace, parsemant au hasard les dernières fleurs de l'automne, et m’éclipsant dans une vieille maçonnerie de briques dès qu'un éclair zèbre l'azur au risque de me découvrir, je suis le prince des ténèbres et je m’en réjouis.