Défi 245, thème proposé par Fanfan,
"Souvenirs, attention danger . A partir d'une photo, ou d'un objet, d'une odeur , d'un lieu ,racontez- nous en quelques lignes , un souvenir bon, gai , ou triste, ou une anecdote de de votre enfance , que cela a réveillé en vous "
C'est donc avec une "remontée" d'article, que je participe.
Corté Crédit photo :
Loïc Colonna. Publiée avec l'aimable autorisation de l'artiste.
Les reportages de télévision sur la neige, quel que soit le lieu, me ramènent inexorablement dans les années 1945/1946, juste à l’après-guerre. Il en est toujours à peu près ainsi lorsque je vois des gens bloqués sur les routes ou des montagnes enneigées. Chaque fois ma mémoire fait un grand retour en arrière et se souvient.
Le petit village corse ou je vivais alors avec mes parents, était situé à neuf kilomètres de la ville principale où nous allions faire les achats. A presque mille mètres d’altitude, les hivers y étaient rigoureux. Lors des chutes importantes de neige, je revois mon père avec une grande pelle déblayer l’accès à la maison, faire un chemin au milieu de cette couche blanche afin que nous puissions circuler. Je revois mes parents se déplacer avec peine dans la neige, ne serait que pour aller chercher des bûches dans l’appentis au fond du jardin pendant que je restais bien au chaud dans la maison.
J’avais à l’époque dix ans environ, et ce jour-là j’accompagnais ma mère à Corté pour y faire des achats. Le froid était vif, cependant la matinée ensoleillée. Nous avions emprunté le car qui reliait les différents villages voisins, sans autre inquiétude. Le ciel s’était couvert au fur et à mesure que la journée s’avançait jusqu'à prendre cette couleur blanc/gris, feutrant même les bruits de la ville tellement il devenait bas et lourd.
Après avoir fait un dernier tour chez les différents commerçants pour prendre les paquets que ma mère avait fait préparer, principalement de la nourriture, c’est avec une certaine hâte que nous avons rejoint le bureau sur le cours principal, devant lequel devait partir le car, il était environ dix-sept heures-trente et la nuit était déjà là.
Le chauffeur du car ne semblait pas très optimiste, quelques flocons de neige commençant à tomber et c’est avec énervement qu’il attendait les retardataires. Il n’y avait qu’un passage le matin dans un sens et l’autre pour le retour et ceux qui avaient voyagé le matin n’avaient que cet horaire pour rentrer chez eux.
Enfin le car se mit en marche pendant que la neige tombait de plus en plus drue. La route de montagne commençait à être de moins en moins praticable. Le véhicule s’arrêta, repartit, crachota et finit pas s’arrêter à moins de trois kilomètres du point de départ. L’agitation se fit bouillonnante parmi les voyageurs.
Fallait-il essayer de continuer ? Rebrousser chemin avec le car ? Mais dans ce cas ou loger et aucun moyen de communication pour avertir les familles. Le chauffeur lui trancha, laissant chacun à son propre choix, après tout il n’était pas commandant d’un navire, et décida de laisser le car sur place, et de revenir à la ville.
Ma mère pris la décision de continuer la route à pied, inquiète pour sa fille et pour son mari. Certains voyageurs firent comme elle, d’autres rebroussèrent chemin . Au fur et à mesure de la marche le groupe s’étirait, les plus vaillants marchant devant. Je me revois dans la nuit seule avec ma mère qui s’était dépouillée de tout ce qu’elle pouvait en vêtement pour me protéger, portée par son courage et son acharnement à me ramener à la maison, avançant péniblement dans une couche de neige qui devenait de plus en plus dense.
Combien de temps dura ce voyage, je ne saurais le dire pas plus d’ailleurs que notre arrivée à la maison après avoir retrouvé mon père parti sur la route, très inquiet de ne pas voir le car arriver. J’arrivais pour ma part saine et sauve, maman s’alita pour un temps très long, trop long et dont elle ne se remit jamais tout à fait.