L’hiver n’en finissait pas cette année-là et tout le village rouspétait contre ce printemps qui ne se décidait pas à venir, tout le monde, sauf Martin qui poursuivait son petit bonhomme de chemin sans rien dire. Les villageois l’imaginaient un peu simplet, en fait il n’en était rien, c’était juste un sage qui savait que ça ne servait à rien de s’énerver contre la nature.
Qu’il vente ou qu’il pleuve, Martin n’en n’avait cure, tous les après-midi, il s’acheminait à travers champs et bois. On avait bien essayé de le suivre, mais Martin malgré son air bonasse n’était pas né de la dernière pluie et prenait plaisir à faire tours et contours pour perdre ses suiveurs.
Lors de l’une de ses promenades il avait juste fait une découverte, non plutôt une rencontre : au fin fond d’un champ, à l’abri des pommiers, coulait une petite source. Mais peut-on parler de rencontre dans ce cas ? Certes oui car cette source était particulière. La première fois que Martin se pencha pour ramasser du cresson dans cette eau fraîche, elle lui susurra à l’oreille un joyeux gazouillis. Que l’Eau murmure, cela il le savait mais que maintenant l’Eau se mette à lui parler, sur le coup il failli en avoir un coup de sang. Il dut se rendre à l’évidence à voir les frémissements à la surface de la source, c’était bien l’eau qui s’agitait et lui parlait.
- Sais–tu que je n’étais qu’un tout petit filet lorsque j’ai quitté tout là-haut le torrent ?
Le temps de reprendre un peu ses esprits et Martin engagea la conversation le plus naturellement qu’il soit.
- Pourquoi l’avoir quitté pour venir te perdre ici ?
- Je suis un peu rebelle je l’avoue et ça jacassait vraiment trop dans les tourbillons du torrent !
- Alors tu as bien fait de venir ici où tout est calme.
- Je voudrais que tu ne parles à personne de ma cachette.
-N’aies crainte je garderai ton secret, mais toi peux-tu me raconter tout ce que tu as vu sur ton long chemin ?
- Au départ j’étais tellement occupée à me frayer un passage que je n’ai rien vu. Ensuite au détour d’un petit lac j’ai entendu des truites pérorer, inutile de te dire que j’ai filé en douce et je me suis vite glissée entre les châtaigniers.
- Tu as du rencontrer des bergers alors ?
- Non ils étaient trop occupés entre eux, juste quelques brebis sont venues se désaltérer. Plus bas je me suis répandue dans un champ de cyclamens, une véritable splendeur je te dis !
- Bientôt viendra la saison des boutons d’or et des marguerites, tu verras c’est joli aussi.
C’est ainsi que jour après jour, Martin venait à son rendez-vous et l’Eau lui racontait comment elle s’était faufilé à travers les rochers, les embûches qu’elle avait dû affronter, les belles campagnes traversées et enfin le plaisir de se retrouver ici. Martin ne se lassait pas de l’entendre raconter son histoire, il s’asseyait au bord de la source, à même le sol et se laissait bercer par le récit. Parfois il s’endormait pour une petite sieste et la source se faisait murmure pour le bercer.
Page 12 "
La Marguerite des Possibles"