Le petit village, situé pourtant en moyenne montagne, est déjà recouvert d’une couche de neige, en cette fin novembre. Est-ce les prémices d’un hiver rigoureux, beaucoup de villageois s’interrogent.
– Antoine…Aio…qu’est que tu en penses toi de ce temps ?
– Mi…c’est un peu tôt, mais comme disaient nos ancêtres…
Antoine a par habitude de ne jamais finir ses phrases, certains s’exaspèrent, d’autres en ont pris leur parti…
– Et alors, écoute…ils disaient quoi nos ancêtres ? dis-moi ?
Ange porte mal son nom car il n’est pas dans le lot des plus patients.
– On verra bien …lui dit Antoine en s’éloignant et en tirant sur sa pipe malgré l’heure matinale.
Ici et là, raisonne le bruit métallique des pelles qui raclent le sol pour dégager la neige et faire des passages. Lucia, institutrice, retournée vivre au village dès ses diplômes obtenus, sait bien qu’aujourd’hui les enfants arriveront en retard comme toutes les années. La tentation est trop grande sur le chemin, pour ne pas s’arrêter faire des batailles avec la première neige. Elle grondera un peu pour le principe mais personne ne sera dupe de ce rappel à l’ordre.
Mattéu sur le pas de la porte, scrute le ciel ce matin complètement dégagé.
– Soit tranquille Mattéu, pour quelques jours il n’y a plus de risque !
Natale, l’appareil photo en bandoulière passe d’un pas calme et régulier.
– Déjà en promenade …tu as peur qu’elle fonde … tu t’en vas de quel côté ?
Natale n’est pas à proprement parler le correspondant du journal local mais il y publie suivant les évènements qui touchent le village et ses environs, quelques photos au fil des ans, et tout un chacun est au courant de sa passion. D’autant plus que son nouvel appareil performant, lui a été offert l’année dernière à Noël par ses enfants. Il ne sort jamais sans l’avoir à l’épaule et on aime bien le taquiner à ce sujet.
– Écoute…Vizzavona sous la neige doit bien mériter quelques clichés …tu ne crois pas ?
– Tu as raison…mais le col je ne sais pas s’il est dégagé…
– Oh l’ami on verra bien ! À plus tard…et sort couvert à ton âge…
Mattéu ne s’offusque point, d’autant moins qu’à quelques mois près, ils ont le même âge.
Il est temps maintenant, d’aller voir comment se porte Prudenzia la doyenne du village. Il passe prendre Filippu qui l’attend pour aller faire cette visite quotidienne, en principe l’après-midi mais compte tenu de la neige, l’horaire a été avancé.
Non pas qu’ils aient une inquiétude particulière, le bois bien rangé à l’arrière des maisons et y compris la sienne, sous les auvents, est prêt à participer à de belles flambées. Le cochon a été tué et la charcuterie sèche dans les saloirs ou suspendue dans les arrières cuisines. Le fromage est en réserve depuis la fin de la transhumance, et les plus jeunes du village sont allés à la ville voisine lui chercher médicaments et l’épicerie nécessaire.
– Ah les enfants… j’étais sure de vous voir ce matin ! Je vais chercher le café…
S’appuyant sur sa canne, clopin-clopant elle va chercher la cafetière tenue au chaud à l’angle de la cheminée. Ils se passeraient bien de boire ce café plusieurs fois réchauffé mais comment lui résister sans lui faire de la peine.
– La moitié de la tasse pour moi dit Mattéu, espérant échapper en partie au breuvage.
– Asseyez- vous, j’ai une commission à vous faire faire. Vous savez que c’est bientôt la noël et il temps je dirais même plus que temps, de préparer la chapelle pour qu’elle soit bien propre pour faire la crèche. Il faut que vous disiez à Letizia, Lorenza et même Valéria qu’il est temps de s’y mettre ! Et puis Pasquale et Pancraziu, ces fainéants n’ont qu’à donner un coup de main !
– Ça sera transmis, et nous y veilleront sois tranquille… disent les deux amis en même temps.
Après leur départ Prudenzia sourit, bien entendu personne ne lui dira que tout ça est déjà en train de se faire pour lui laisser le sentiment de participer encore à la vie commune. Elle sait bien, mais il faut jouer le jeu et leur laisser croire qu’elle a toujours son mot à dire. La crèche c’est quelque chose d’important qu’elle a toujours connu, pas aussi belle que celles d’aujourd’hui, plus simple, avec moins de personnages. Par contre, est-ce sa mémoire qui lui fait défaut …peut-être... mais elle ne souvient point d’arbre de noël dans les maisons. Elle a beau forcer sa mémoire à faire machine arrière, impossible de se souvenir de cet arbre illuminé. Á l’époque de son enfance ou de sa jeunesse, les pièces n’étaient pas très grandes et les plafonds bas, alors y faire rentrer un arbre devenait sans doute difficile. Par contre ce dont elle se souvient c’est des branches d’arbousier qui décoraient la maison.
Bientôt noël, les enfants et petits-enfants seront de retour pour les fêtes, et Prudenzia part dans une douce somnolence où passé et présent se mélangent, en rêvant à ses noëls d’antan.